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3.1

Le numérique au coeur du développement

Nous l’avons vu dans les parties précédentes, l’oenotourisme français est un secteur qui se construit en fonction d’une demande qui évolue. Elle évolue en fonction de tendances sociales et sociétales plus profondes. Les touristes aspirent globalement à un retour au local, au terroir, à la nature et aux rencontres dites authentiques. Ce n’est pas parce que cette demande semble tournée vers un mode de vie plus "simple", qu’elle n’a pas ses exigences en termes d'attente d'une certaine qualité de service. Il nous faut également ajouter, que le lien créé lors d’une rencontre client-vigneron s'entretient également via un contact régulier. Cela passe entre autres par une campagne de communication dynamique, la présence sur les réseaux sociaux, la gestion des fichiers clients…

Les vignerons ont bien évidemment le choix de répondre ou non aux nouvelles attentes des touristes. Ce sont eux, qui en effet, donneront le ton de ce que deviendra l'oenotourisme à la française, en fonction des opportunités qu'ils retiendront ou pas.

C'est véritablement à travers le digital que la stratégie de l'oenotourisme s'exprimera.

Les vignerons doivent de fait, apprendre à  se différencier et à créer une identité propre. Ceci nous invite à nous poser la question: si, du fait de l’oenotourisme, les domaines viticoles autrefois uniquement fabricants de vins, n’ont pas commencé à transformer leur nom de domaine en véritable marque ? 

 

D’après une étude menée par la chaire "vin et tourisme" de l’em strasbourg sur les pratiques digitales de 175 entreprises viticoles en Alsace et 205 en Provence, moins de 30% des entreprises proposent une fonction de réservation d’une visite de cave sur leur site internet. 30% des entreprises n’ont aucune information sur leur site relatif à l’accès et les heures d’ouverture de la cave et 50% des entreprises n’ont toujours pas de site e-commerce (Haller, Plotkina et Fabing, 2020).

Pourtant, la visibilité sur les réseaux sociaux permet de toucher une population relativement jeune, qui n’est pour le moment, pas la clientèle oenotouristique majoritaire. En effet, d’après l’étude menée par Atout France en 2013, l’âge moyen de l'oenotouriste français est de 46 ans. Cette moyenne d’âge se montre plus élevée dans certaines régions. Comme en Champagne par exemple, où la crainte d’une clientèle qui ne se renouvelle pas, fait peser sur les acteurs de l’oenotourisme un véritable danger de perte de clientèle sur le long terme.  Lorsque nous avons interviewé une chargée de missions en oenotourisme pour oenotourisme Lab, cette dernière nous a fait part de ses craintes.

Suite aux divers entretiens que nous avons menés, nous avons remarqué que les professionnels étaient globalement unanimes quant au fait que l’oenotourisme en termes de digitalisation avait encore du travail à faire.

Beaucoup de vignerons nous ont en effet confié que tout le travail autour du numérique n’était pas évident pour eux et que c’était un métier à part entière. Très peu ont le temps, l’envie ou les moyens de s’investir à 100% dans une communication digitale extrêmement ciblée et performante.

“La visite de cave traditionnelle ne marche plus et il ne faut pas s’obstiner à en faire sans se poser des questions, on peut plus rester dans une visite authentique et traditionnelle sinon on va perdre nos clients d’ici 5 à 10 ans”

“C’est super lourd pour nous à gérer. C’est énormément de temps passé dessus et on n’en connaît pas du tout le retour.

Absolument pas. On ne peut en revanche plus s’en passer aujourd’hui.” 

 

- Gwenaelle de Wulf, Jas d’Esclan

La tâche des vignerons n’est donc pas aisée, il leur faut réinventer leur modèle d’accueil traditionnel s’ils veulent rester compétitifs en termes d’offre touristique. 

La communication numérique ou encore la gestion de son portefeuille client devient alors primordiale afin d’entretenir et de pérenniser le lien avec le client. En effet, peu de vignerons nous ont parlé de l’envoi de newsletter par exemple et pourtant, c’est bien en entretenant un lien avec leurs clients, que ces derniers peuvent transformer l’essai et convertir des touristes occasionnels en clients réguliers. 

D’après Estelle de Pins (créatrice d’un logiciel CRM spécialisé pour la filière de l’oenotourisme), un changement s’est cependant opéré depuis les différents évènements liés à la Covid-19. Cette crise sanitaire a permis aux vignerons de prendre conscience, de l’importance de la communication sur les réseaux, ainsi que d’avoir une base de données clients à jour. Catherine Leparmentier, fondatrice de Great wine capitals, la rejoint en effet sur ce point. D’après elle, les vignerons français partaient avec un certain retard en termes de gestion des fichiers clients. La crise de la Covid-19 a incité les vignerons à repenser leur approche commerciale et marketing:

“ Il y a eu beaucoup d’efforts fait en terme de marketing, de conception de fichiers et puis bon les réseaux sociaux ont explosé, et puis des services qui se sont mis en place types dégustation en ligne et qui finalement ont super bien marché et ce qui a permis en fait aux propriété de faire leur marketing plus ciblé et de faire elles -même leurs fichiers.”

Nous remarquons également que les technologies utilisées pendant la crise ont boosté la digitalisation de l’oenotourisme de manière pérenne. En effet, plusieurs initiatives lancées pendant le confinement ont perduré comme par exemple les dégustations en groupe, en live sur Facebook ou Instagram Live. Des clubs de dégustation sont par exemple passés complètement en ligne. Cela a été extrêmement populaire pendant la crise sanitaire en raison de la facilité avec laquelle cela peut être réalisé et de l’impact que cela génère sur une cible large de consommateurs plus jeunes et adeptes des réseaux sociaux. 

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Ces solutions utilisées comme des outils marketing et de promotion, permettent d’améliorer la communication et de réduire la distance existante entre un producteur et son client.

Il s’agit donc pour certains vignerons de « désapprendre pour réapprendre » à construire un modèle alternatif, fondé sur l’intégration des technologies de l’information et de la communication dans la création de l’offre oenotouristique de demain. La communication et la présence sur les réseaux s’avèrent plus que nécessaire dans un secteur qui voit ses ventes décliner.

En effet, depuis quelques années, une tendance s’est amorcée, celle de la baisse de la consommation des vins français. Cela s’explique en partie par l’augmentation de la consommation de produits substituts comme la bière par exemple, mais également par le fait que les Français consomment moins de vin dans leur quotidien. La législation française a un rôle à jouer d’après certains vignerons. En effet, la loi Evin par exemple, datant de 1991, ou encore les publicités de prévention des dangers de l’alcool, ont certainement un impact quant à la diminution de la consommation de vin par personne en France. Il nous faut ajouter également que la concurrence des vins internationaux se fait ressentir.

Cette baisse mécanique de la demande pour le vin français, réduit donc le nombre de débouchés et exacerbe la concurrence. Ces différents facteurs font donc peser sur les vignerons français une pression concernant la vente de leurs vins. Afin de booster leurs ventes, ils peuvent donc mettre en place des stratégies de différenciation qui passent par un questionnement complet de leur modèle. Là où il y a 20 ans, au-delà du prix, la concurrence entre les vins se faisait principalement sur l’étiquette de la bouteille. De nos jours, de nouvelles données entrent en ligne de compte dans l’achat d’un vin : son mode de production (label BIO, vinification naturelle...), ses composants ajoutés, la communication du domaine sur les réseaux (etc).

Les domaines tendent donc en effet à se comporter comme des marques, ils doivent se différencier dans leur approche mais également dans leur communication pour vendre leurs produits ou leurs services.

Si dans les interviews réalisées, il en ressort que la dénomination de "marque", pour décrire des domaines ne s’applique aujourd'hui qu’à certains grands domaines, il ne faut pas négliger l’impact que les réseaux sociaux ont sur les exploitations vitivinicoles de manière générale. 

En effet, l'émergence des outils numériques dans le secteur du vin a généré tout un écosystème autour du digital dans l’oenotourisme.  

Beaucoup de nouveaux métiers se sont développés grâce à ces technologies: les influenceurs vins, les agences de voyages spécialisées dans les séjours oenotouristiques, les cavistes en ligne… Certains domaines ou interprofessions font par exemple appel à des influenceurs afin de faire parler de leurs produits sur les réseaux par exemple, offrant ainsi de la visibilité à plusieurs acteurs oenotouristiques.

Nous avons pu interviewer à ce propos, une influenceuse instagrameuse vin (@Dalkia_loves_wine sur instagram). Elle nous a confié que sa page Instagram a été créé il y a seulement 2 ans et qu’elle fait déjà partie des 10 plus grands influenceurs vin en France “ça prouve bien qu’il y avait un trou dans la raquette”. Elle reconnaît que l’oenotourisme a du retard dans le digital et que les domaines qui savent l’utiliser gagnent en visibilité. Ces propos sont également relayés par Estelle de Pins (entrepreneuse dans le domaine du vin). A la question "que manque-t-il aux vignerons français pour que l’oenotourisme fasse un bond en avant ?" cette dernière nous a répondu que les vignerons devaient comprendre qu'ils avaient accès gratuitement à tous les consommateurs du monde "Il faut qu'ils actionnent les réseaux (...)  il faut qu’ils actionnent leur marque partout où elle est déjà présente."

Dalkia Loves Wine, influenceuse vin Instagram

Tous ces nouveaux métiers gravitant autour du numérique, demandent donc aux vignerons d’être proactifs au niveau des tendances digitales, afin de répondre à des consommateurs présents et actifs sur les réseaux. 

 

Pratiquer l’oenotourisme démontre une volonté de se diversifier, de proposer quelque chose de différent pour créer un lien, lien qui s'entretient pour une meilleure satisfaction client. L’oenotourisme est donc un investissement sur le long terme. Cette image et ce lien que cherchent à entretenir les vignerons montrent bien que les domaines se mettent à adopter des stratégies marketing afin de fidéliser leurs clients.

Ces stratégies sont relayées par d’autres acteurs comme le pôle oenotourisme d’Atout France, qui en 2009 a décidé de créer le label "Vignobles & Découvertes". On peut également citer le label "Best of Wine tourism" créé en 2003 par le réseau des capitales des grands vignobles.  Cette reconnaissance de la qualité œnotouristique est importante puisqu’elle impacte l’image que retiennent les touristes du vignoble et/ou du domaine. Ainsi, l’ouverture aux touristes des régions vitivinicoles revêt une dimension marketing. L’oenotourisme en offrant une vitrine pour vendre un nom, un domaine, un imaginaire serait en quelque sorte le nouveau marketing du vin.

L'évolution du métier de vigneron, qui désormais doit intégrer le digital dans son quotidien, n'est qu'un des aspects de la transformation qui concerne toute la filière du vin, induisant ainsi une nouvelle approche produit. Les vignerons n’ont d’autres choix que de prendre ce virage. L’exemple de la cité du vin à Bordeaux en est l’illustration parfaite. Vous ne verrez pas dans ce musée, un seul pied de vigne car ce n’est pas l’objectif. En revanche, il est possible d’écouter des centaines d’interviews de vignerons des quatre coins du monde, d'oenologues ou bien d’experts en vin. Cette immersion dans le monde du vin passe par le numérique, d’après Madame Jaboulet, directrice communication de La cité du vin. Faire venir le vin en ville et le faire découvrir au grand public, voilà l’objectif de la Cité du vin à Bordeaux.  

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Autre exemple de digitalisation de l’expérience oenotouristique: les applications créées. Geovina par exemple, propose gratuitement à tous les amateurs de vins de géolocaliser et d’identifier l’ensemble de l’offre viticole et oenotouristique dans une région.

Le numérique dans le vin va même plus loin. En effet, du 11 au 15 janvier 2021 se tiendra, Hopwine le premier salon virtuel autour des vins et spiritueux. Les raisons mises en avant pour l’organisation d’un tel salon sont la crise sanitaire ainsi que les défis écologiques. Cette démarche peut sembler un peu déroutante, tout comme celle des dégustations en live Facebook, Instagram. Déguster des vins chez soi, derrière un écran en même temps que d’autres personnes aux quatre coins de la France permet certes de parer aux difficultés de la crise sanitaire mais ne remplace en rien l’expérience du vin. En effet, lorsque l’on demandait aux interviewés de nous dire ce qu'évoquait pour eux le vin, les mots de partage d'expérience, de convivialité, de plaisir de vivre, venaient en premier. Des termes, en somme, très épicuriens. 

Cette digitalisation, bien que nécessaire, ne doit pas devenir l’unique lien entre un vigneron et son client. Il est du ressort des domaines de trouver un juste équilibre entre la modernité - qui implique de jongler avec ces outils - et l’authenticité vigneronne, qui est dans le partage d’expériences et de savoir-faire. Ces derniers doivent donc faire le choix du modèle vers lequel ils veulent tendre.

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