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        Un outil de valorisation des territoires

1.3

Si Guy Di Méo, définit le patrimoine comme ce qui se transmet à une personne collective et qui est globalement transféré par une génération aux suivantes, la patrimonialisation serait alors l’action même d’inscrire au patrimoine, un procédé, un paysage, un monument… Elle est donc d’après l’auteur,  une "procédure de sauvegarde, de conservation et de valorisation des patrimoines". Issue de la volonté de souligner le caractère spécifique d’un produit, d’un bien ou d’une pratique et de le différencier selon son territoire de production, de conception, de fabrication, ... la patrimonialisation est souvent issue d’une entreprise collective. Ce procédé implique donc une dimension communautaire ainsi qu’une volonté de reconnaissance par la majorité, du caractère spécial d’un patrimoine. (Guy Di Méo, 2007)

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En effet, la patrimonialisation assure la pérennité d’une ressource dans le temps. Elle fédère  et permet à une communauté de se reproduire et de perdurer. Les processus de patrimonialisation appliqués à un objet (œuvre, bien, bâtiment, site, paysage, etc.) ou à un concept (idée, valeur, témoignage, événement, pratique, etc.) sont construits et témoignent donc d’une identité partagée. La patrimonialisation reflète donc la reconnaissance progressive des productions locales comme expression de l’identité d’un territoire et donc d'un patrimoine (Florence Disson, 2019).

Au-delà de la simple volonté de préservation du patrimoine, le processus de patrimonialisation peut également être valorisé au niveau touristique. Différents acteurs mettent alors en place des stratégies de patrimonialisation à des fins de valorisation de leurs territoires et terroirs. Ces terroirs que Laurence Bérard et Philippe Marchenay définissent comme "les ressources agricoles et alimentaires qui composent le patrimoine rural", (1995) sont essentiels dans la processus de patrimonialisation des domaines, si nous centrons notre analyse sur la vitiviniculture. Ces stratégies de patrimonialisation peuvent se faire sur l’histoire de la vigne ou d’un domaine, son paysage, son architecture etc. L’oenotourisme refléterait donc la valorisation de ces territoires grâce à une coordination des actions prises par les différents acteurs présents. Si l’on en suit l’analyse de Julien Frayssignes (2001), certaines ressources nécessitent, afin de dynamiser un territoire, la création de synergies entre acteurs publics et privés afin de renforcer leur caractère « non délocalisable ». En effet, dans un contexte de globalisation et de concurrence accrue, les territoires et leurs acteurs vont « revisiter » leurs ressources afin d’en faire des leviers de développement économique. Les richesses et atouts locaux vont donc devenir des actifs et être valorisés comme patrimoine. En ce qui concerne l’oenotourisme, ces acteurs privés seront les vignerons, les hôteliers, les restaurateurs, les tour-operators… Les acteurs publics seront quant à eux institutionnels (Comités départementaux et régional du tourisme), associatifs (offices de tourisme, syndicats d’initiative ou autres associations de promotion touristique du territoire), ou encore des élus locaux ou des services déconcentrés de l’Etat (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement, Direction Régionale des Affaires Culturelles.)

Adam Smith avec sa théorie de la main invisible l’avait déjà expliqué quelques siècles auparavant mais nous le voyons très bien dans cet exemple, les stratégies individuelles conduisent à un intérêt collectif: ici, le dynamisme d’un territoire.

Le développement de la destination touristique nécessite d’intégrer les stratégies de tous ces acteurs agissant à des échelles territoriales différentes (Haugland et al, 2011). Les territoires sont de fait, sujets à de plus en plus de stratégies marketing afin de faire valoir leurs richesses et atouts. Beaucoup des vignerons interviewés ont insisté sur l’importance pour leurs visites touristiques de leur château, de l’histoire de leur domaine, comme argument de vente.

"Ce terroir est très ancien et l’histoire est importante parce que ça implique une notoriété dans le concept de terroir... Ça c’est primordial pour la clientèle chinoise. Les chinois adorent le fait qu’il y ait une histoire derrière le vigneron dans le Bordelais."

 

- Gérard Dupuy, Château Beauséjour

Un autre phénomène vient accélérer cette mise en avant du patrimoine. En effet, depuis quelques années, le phénomène des routes à thèmes connaît un grand succès. Le principe d’une route à thème consiste à créer un système de relations entre des patrimoines de même nature, afin de concevoir un produit capable de dynamiser l’économie touristique d’un territoire (Bruno Carlier, 2000). Ceci participe donc à un vaste mouvement d’affirmation identitaire et de valorisations territoriales fortement enracinées.

"Tout notre discours c’est de dire qu’on vient dans le Bordelais pour découvrir une identité...ce qu’on veut c’est découvrir l’histoire d’une bouteille et passer un bon moment en dégustation."

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Romain Bertrand, directeur adjoint du pôle oenotourisme de Gironde Tourisme

Dans cette même dynamique, les produits du terroir, issus de traditions et de savoir-faire locaux, vont, selon Florian Marcelin et Valeria Bugni être chargés "d’une dimension culturelle, identitaire, territoriale et/ou qualitative" (2016). Ceci fait donc échos aux nouvelles demandes des touristes qui adhèrent à de nouvelles pratiques de consommation, plus locales et authentiques centrées sur la gastronomie (Everett Sally et Aitchison Cara, 2008). Ces derniers ont de nouveaux comportements, délaissant une consommation touristique de masse, standardisée et normée pour un tourisme plus personnalisé (Jasmin Tanguay, 2004). L’offre touristique se territorialise pour promouvoir les spécificités locales, authentiques, et ce, principalement au niveau gastronomique.

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"Le vin est un produit culturel qui est présent depuis des centaines d’années mais qui est souvent rattaché à la culture française, à l’art de vivre. C’est un produit d’histoire, de terroirs, de paysages…" 

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- Solène Jaboulet, Directrice de Communication, cité du vin de Bordeaux

L’étude d’Everett et Aitchison a montré qu’à l’échelle de l’Angleterre, l’industrie de la gastronomie est centrale dans la création de l’identité locale d’un territoire. Leur recherche témoigne que le tourisme gastronomique (auquel l’oenotourisme appartient) renforce la notion d’identité locale et d’héritage. En effet, d’après la convention européenne du paysage à Florence en 2000, le vignoble est l’expression d’un lien entre culture et nature. Sa valeur culturelle s’exprime par le fait que c’est le symbole de diverses civilisations; en témoigne la présence du vin chez les romains en 600 avant JC. Cette attache culturelle pour ce produit est ainsi de plus en plus revendiquée dans des pays producteurs, à des fins stratégiques commerciales (Jacques Maby, 2002)

Les consommateurs se reconnectent ainsi aux valeurs du terroir que sont l’authenticité, la proximité avec la nature. D’après Everett et Aitchison, le tourisme gastronomique contribue à ce qu’elles appellent "the triple bottom line" c’est à dire le développement environnemental, économique et social d’un territoire. Les produits du terroir, sont les témoins d’une identité locale et de savoir-faire ancestraux, liés aux caractéristiques environnementales du lieu de production (Florence Disson, 2019) "C’est un espace aux caractéristiques géographiques et physiques propres, exploitées grâce à des pratiques et des savoirs communs élaborés, transmis et renouvelés au cours du temps, formant un patrimoine technique et social..." 

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Ce retour au local fait écho bien évidemment aux évolutions de comportement du consommateur. Ceci conduit donc les marketeurs à proposer de nouvelles pratiques dans la promotion des produits du terroir. 

D’après Alternatives marketing de Fatiha et François Fort, le marketing doit en effet se recentrer sur sa fonction sociétale qu’est de répondre aux attentes des consommateurs et non pas sur sa fonction marchande. Cette nouvelle dynamique rentre dans la logique de promotion des produits du terroir. 

Le vin en est donc l’exemple parfait. Symbole d’un savoir vivre, d’une culture et d’un patrimoine, le vin se distingue des autres produits dits du terroir pour son ambivalence. Étant à la fois le symbole d’une production agricole mais également un exemple de raffinement. 

Le paradoxe du vin serait donc d’être à la fois un produit populaire et élitiste (Stephen Charters, 2008). Le vin fonctionne donc de deux façons : comme un produit de grande consommation et comme un produit de qualité supérieure. Le vin populaire, "de table", est un produit de masse qui se différencie du vin "de qualité" consommé pour ses caractéristiques gustatives mais également pour son utilisation sociale.

On pourrait donc distinguer le vin produit de terroir, simple, accessible à tout type de population; du vin produit de culture, qui regroupe les vins s’adressant à des personnes initiées, consommant du vin pour ses qualités gustatives, pour son côté de produit d’élite.

Le marketing autour du vin dépend donc bien évidement de la catégorie de client à laquelle on s’adresse. Cependant, la visite d’un domaine, suivie par la dégustation des vins de ce domaine, met tous les visiteurs sur le même pied d’égalité. Bien que certains soient plus connaisseurs que d’autres, les oenotouristes sont rassemblés pour les mêmes raisons. 

Nous pouvons donc dire que l’oenotourisme, permet d'une certaine manière l'existence d'une sorte de passerelle qui faciliterait l’accès au vin pour certains. Cette pratique serait donc un pont entre les deux caractéristiques ambivalentes du vin que sont: le vin, produit de terroir et le vin, produit de culture. 


 

Lors d’une visite oenotouristique, le vigneron promeut bien évidemment son vin mais cherche également, comme nous l’avons vu, à créer un lien avec ses visiteurs. Un lien de transmission, de savoir-faire et de partage d’une histoire. Ce côté expérientiel de l’oenotourisme, son invitation de retour aux sources, fait échos aux nouvelles tendances de voyage et de visite. Une nouvelle demande émane des touristes qui sont en quête d’authenticité dans leurs rencontres et activités. 

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