
Les chiffres du secteur
1.1
Pour beaucoup d’entre nous, le vin n’est pas qu’une simple boisson alcoolisée. On en parle en effet souvent, comme étant issu d’un véritable savoir-faire, voire, comme étant l'emblème d’un savoir-vivre pour certaines cultures. Pour le consommateur, il s’agit d’une expérience hédoniste liée au partage, qui n’a d’autre but qu’elle-même.
Depuis toujours, bon nombre de viticulteurs vendent une partie de leur production directement sur l’exploitation ou lors de salons. Ceci est particulièrement vrai pour les petits domaines qui ont peu de moyens pour exporter et promouvoir leur production en dehors de leur région. Cette pratique qui tient plus de la tradition que d’une démarche réfléchie et marketée, s’est finalement organisée et structurée, pour devenir au fil des ans l’oenotourisme.
Michael Hall (2000) définit l’oenotourisme très simplement comme étant: "la visite d'un domaine viticole, d'une cave, d'un salon ou événement oenologique durant lequel la dégustation et ou la région de production sont les premières motivations des visiteurs". C’est durant les années 2000 que le secteur va fortement évoluer et se professionnaliser, complexifiant de fait, sa définition.

Ainsi, selon Getz et Brown (2006) dès lors que des clients se rendent sur une exploitation on peut parler d’oenotourisme. Ils développent leur définition en incluant les différentes stratégies qu’utilisent les vignerons pour attirer les clients et réaliser ainsi des ventes sur leur domaine (comme des concerts ou des cinémas en plein air). Pour les touristes, il s’agit de nourrir un intérêt pour une région viticole et ses savoir-faire, tandis que pour les vignerons, l’oenotourisme est un outil de développement commercial. Ritchie et Crouch (2003) vont même plus loin et qualifient l’oenotourisme comme la frontière entre le tourisme rural et le tourisme culturel, devenant donc un nouveau secteur touristique à part entière.
Ce n'est que dans les années 2000 que l'oenotourisme s'est développé en France. En effet, les vignerons ont dû trouver une alternative pour compenser les ventes qui ne faisaient que diminuer dues à la concurrence des nouveaux pays producteurs. D'après Martin Lhuiller, directeur du pôle oenotourisme d'Atout France, c'est principalement la crise de 2008 qui a incité les vignerons français à se lancer dans l'oenotourisme.
Comparé aux autres pays producteurs, le développement du secteur en France paraît tardif. Par exemple, les marchés Australiens et Néo-zélandais existent depuis les années 90. R.Mitchel et M.Hall en 2006, ont identifié dans leur : "Etat des lieux de la recherche Oenotouristique", que 69% des études académiques sur l’oenotourisme provenait de l’Australie et la Nouvelle Zélande entre 1989 et 2006. Seuls 2% des études concernaient des vignobles français. Ces deux pays ont une approche de l’oenotourisme tournée vers les attentes clients (depuis les années 90) tandis que la France devra attendre la fin des années 2000, pour commencer à mettre de côté une approche centrée sur le produit et mettre plus en avant le service proposé. La dégustation au domaine, activité phare de l’oenotourisme, est d’abord un fait culturel en Europe (France, Italie, Espagne) qui n’est pas réfléchi avec une approche marketing et qui n’est pas toujours payante.



Mitchel et Hall vont ainsi identifier les principaux thèmes de recherche et nous donnent une définition "anglo-saxonne" de l’oenotourisme, c’est-à-dire l'approche par la demande. Ainsi, ils vont catégoriser l’offre oenotouristique en 4 types d’offres:
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Les visites de domaines: fonctionnent surtout pour les petits chais et leur permet de vendre leur production
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Les salons oenologiques: (wine festival) permettent le renouvellement et la fidélisation de la clientèle qui revient souvent et qui va même visiter des domaines par la suite.
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Route des vins: peuvent devenir des outils de développement de réseaux touristiques car il implique les autres acteurs du tourisme (Hôteliers, restaurateurs, guides…).
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Autres types d’événements: peinent parfois à être complets suivant le format mais ont tendance à se multiplier. Exemples: exposition culturelle, concert, cinéma, festival...

La différence de l’activité oenotouristique entre la France et d’autres pays producteurs vient de la nature de l’activité viticole elle-même. En effet, les nouvelles régions productrices vont avoir pour double objectif la production de vin et le développement du tourisme oenologique. (Villanueva and Moscovici, 2016). Pour les domaines français, le métier de vigneron consiste à produire de vin. Ils utilisent par exemple les AOP comme un argument commercial et les syndicats interprofessionnels vont les aider à promouvoir leur production. C’est là que se trouve le défis du secteur, comment des agriculteurs vont pouvoir se former aux outils et aux métiers du tourisme afin de se professionnaliser? Nous pouvons même nous demander s’il existe une réelle envie de leur part de développer des offres d’oenotourisme. De plus, le vignoble français porte une tradition forte qui peut freiner l’innovation. Là où, dans d’autres pays, les vignerons sont des nouveaux entrants sur le marché, peuvent faire parti de la jeune génération et ont donc potentiellement la volonté d’investir.
Étant donc un secteur naissant, l’oenotourisme français a besoin de structurer ses offres. Ce n’est qu’à la suite de la parution du rapport Paul Dubrule en 2007, qu’on établira un premier état des lieux de l’oenotourisme français. La question du rapport était:
Que peut apporter le tourisme au viticulteur et vice-versa?
Le rapport tire 4 principaux axes de travail pour l’oenotourisme:
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Construire une culture commune de valorisation par l’œnotourisme du patrimoine vitivinicole français, avec deux éléments essentiels : les paysages et l’architecture ;
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Accroître la lisibilité de l’offre touristique et viticole ;
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Mettre l’œnotourisme en réseau avec les autres formes de tourisme ;
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Former ensemble les acteurs de l’œnotourisme.
Sous l’impulsion du rapport, Atout France (agence privée de développement du tourisme français, sous tutelle ministérielle directe) fonde en 2009, le Conseil Supérieur de l’Oenotourisme (CSO) qui délivre le label Vignoble et découvertes. Ce label certifie durant 3 ans qu’une destination touristique et viticole propose bien "une offre de produits touristiques multiples et complémentaire (hébergement, restauration, visite de cave et dégustation, musée, événement…)".




Sources : Atout France, VisitFrenchWine, Forbes, Nzwine.com
D’après les chiffres, c’est un secteur qui progresse: selon Forbes France, en 2016 la France comptait 10.000 caves oenotouristiques, 31 musées qui ont accueilli 10 millions de touristes pour générer un total de 5,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Quand en 2013 nous comptions seulement 5.000 caves pour 7 millions de touristes.
A titre de comparaison, la France est le pays le plus visité au monde: 89 millions de touristes en 2019 (+3%) pour un recette de 55 milliards d’euros (+5%) ce qui représentait 7,4% du PIB 2018.
Nous avons vu que l’oenotourisme français s’est développé fortement depuis la crise de 2008 mais sur quel modèle? En suivant les axes d’Atout France et du rapport Dubrule? Ou bien les vignerons français ont-ils créé leur propre modèle? Nous allons voir quelles ont été les différentes initiatives prises par les vignerons mais aussi par les autres acteurs du secteur et nous pourrons dresser la carte du nouvel oenotourisme français.